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Qu’est-ce que l’intégration ?

lundi 1er mars 2010, par Hakim Arabdiou

Dominique Schnapper nous retrace dans son ouvrage, Qu’est-ce que l’intégration ? ( éd. Gallimard, Paris, 2007) à travers notamment de travaux sociologiques pionniers et fondateurs, l’évolution de cette question sensible, et les deux synonymes, intégration et assimilation, qui la désignent.

Il s’agit d’abord du livre, le Paysan polonais, de William Thomas et Florian Znaniecki, de l’École de Chicago ( 1920-1935). Ce livre montre que les déviances sociales dans les milieux immigrés polonais (violences, taux élevés de divorces et de délinquance de leurs enfants, etc.) aux États-Unis d’Amérique ne sont pas dues à leur émigration dans ce pays, mais à la crise de leurs valeurs paysannes en Pologne qui les a forcés à émigrer.

Ils se sont trouvés dès lors moralement fragilisés dans la société d’accueil, dont ils ignoraient de surcroît les valeurs. Il leur fallait donc une phase de transition avant de s’intégrer. C’est ainsi qu’ils vivaient à l’écart du reste de la population et dans les mêmes quartiers, où ils reproduisaient leur ancien mode de vie. Les deux auteurs ont conclu que ce regroupement communautaire ne constituait pas un quelconque obstacle à leur assimilation, mais une étape nécessaire et inévitable à cette assimilation.

Pitirim Sorokin, de la même École, a réalisé une avancée notable dans l’étude de cette question, en montrant l’existence de deux modes nécessaires et complémentaires d’intégration des immigrés : l’assimilation culturelle, qui est l’adoption par eux des principes, des valeurs et des normes de leurs sociétés d’accueil, et l’assimilation structurelle (ou sociale), à savoir l’intensité des rapports qu’ils entretiennent avec les diverses instances de leur nouvelle société : lieu de travail, milieu familial, activité citoyenne, contacts avec la population autochtone, etc.

Louis Wirth, autre membre de cette École, indique quant à lui, dans son célèbre ouvrage, le Ghetto (1920-1930), que les immigrés juifs aux États-Unis d’Amérique s’étaient d’abord regroupés dans un même espace géographique autour d’une synagogue et où ils reproduisaient eux aussi leurs propres traditions communautaires.

Mais leurs descendants adultes quittaient le ghetto, car ce dernier ne pouvait plus répondre à leurs nouvelles aspirations sociales. Car ils s’étaient imprégnés de la culture états-unienne à l’école et avaient connu une promotion sociale bien plus élevée que celle de leurs parents.

La principale conclusion à laquelle est parvenu cet auteur est que les ghettos, qui existaient alors dans toutes les villes des États-Unis d’Amérique et qui abritaient séparément chacune des communautés, étaient vus par leurs membres, généralement pauvres ou de conditions sociales modestes, comme le moyen de s’assurer un minimum de protection matérielle et morale. Ils ne constituaient donc pas (au début) un obstacle à leur assimilation. Ils sont, bien au contraire, la condition nécessaire- en tant qu’étape et moyens- de cette assimilation.

Cependant, deux livres, publiés aux débuts des années 1960, ont opéré une rupture d’avec la conception normative de l’intégration en vigueur jusque-là, et qui se définit comme le dépouillement progressif des populations immigrées de leurs caractéristiques ethniques et leur adoption des valeurs de la société d’accueil. Il s’agit de Beyond The Melting Pot de Nathan Glazer et Patrick Moynihan, et de Assimilation in Américan Life, de Milton Gordon.

Pour les deux premiers sociologues, le regroupement communautaire des étrangers dans la société états-unienne, n’est ni une étape, ni un moyen d’intégration, ni une survivance temporaire, mais le produit naturel et permanent de la société états-unienne. Les partisans de cette vision ethniciste de l’intégration, et de son corollaire le différencialisme, vouèrent alors aux gémonies et marginalisèrent la conception universaliste de l’intégration.

C’est pourquoi, les termes intégration et assimilation avaient été fortement contestés aussi par les populations immigrées, à cause de leur sens implicite supposé (désintégration, inassimilés à la collectivité nationale...) et leur rangement parmi les populations marginalisées (délinquants, pauvres...) Ces deux notions sont également accusées de désigner le mécanisme de destruction de leurs identités d’origines.

Pour la génération des chercheurs des années 1960-1985, la question de l’intégration est seulement ou avant tout celle des discriminations subies par les populations immigrées dans leur accès aux droits civiques et sociaux.

Le second livre reprend et enrichit, quant à lui, la théorie de Sorokin sur les modalités d’intégration des immigrés. Il n’y a pas non plus selon lui forcément concordance entre assimilation culturelle et assimilation structurelle. Il en veut pour preuve les Afro-Américains, qui vivent depuis des siècles dans ce pays, qui sont parfaitement assimilés culturellement, mais qui ne l’étaient pas structurellement, à cause du racisme, dont ils avaient été victimes. C’est également le cas de leurs compatriotes juifs, mais dans une situation inverse : leur parfaite ascension économique et assimilation des valeurs états-uniennes contrastaient avec leur faible assimilation sociale, notamment par des mariages endogamiques.

Dans les années 1980-1990, des débats ont opposé en France, d’une part « intégrationnistes », partisans d’une intégration républicaine et universaliste des migrants, et d’autre part « multiculturalistes » prônant, sous l’influence des chercheurs « communautariens » états-uniens et canadiens, la prise en compte non seulement dans la sphère privée, mais aussi dans la sphère publique (État et collectivités locales), des cultures d’origines des migrants, gage selon eux d’une meilleure intégration.

Cela n’a pas empêché chercheurs et pouvoirs publics de conserver le terme d’intégration, mais d’abandonner celui d’assimilation, trop connoté, qu’ils employaient concurremment avec le premier, et que leurs homologues états-uniens ont conservé.

Ces chercheurs se sont également mis d’accord sur le fait de considérer que l’intégration n’est pas un « état », mais un processus ; que ce processus peut prendre diverses modalités et que le décalage entre l’intégration culturelle et l’intégration structurelle peut être source de déviances sociales.

Les enquêtes Mobilité géographique et insertion sociale (MGIS, 1992), dirigée par Michèle Tribalat, et l’enquête (EFFNATIS, 1999-2000) menée dans trois pays européens (France, Allemagne et Grande-Bretagne) font toutes deux états de l’intégration croissante des populations immigrées et de leurs enfants dans leurs pays d’accueil, que ce soit en matière de mariages mixtes, de taux de natalité, de mode de consommation et de loisirs, de la fréquence de l’usage et de la maîtrise de la langue locale, et du faible emploi de la langue d’origine, de l’intensité des relations sociales extra-communautaires, de participation citoyenne, etc.

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