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Quelques remarques sur le projet de loi relative à l’industrie cinématographique

1ère partie- Algérie, un texte sortant d’une inspection idéologique... (suite en fin d’article)

mercredi 29 mars 2023, par Yacine Teguia

Avec son titre le ton de la loi est donné, il s’agit d’industrie et non pas d’art. Dans l’exposé des motifs, le législateur parle d’un bout à l’autre d’une industrie et les mots art et culture ne sont cités qu’une seule fois. Dès l’entame le texte affirme d’ailleurs :

« Le présent projet de loi a pour but d’asseoir un dispositif juridique approprié pour l’encadrement de l’exercice des activités de production et de services afférentes à l’industrie cinématographique. L’affermissement du caractère économique du cinéma est clairement affirmé par sa dimension industrielle et commerciale au vue des procédés utilisés qui permettent la transformation d’une œuvre de l’esprit en produit fabriqué destiné à être commercialisé et exploité sur supports appropriés selon les règles du marché  ». Il s’agit de livrer un nouveau secteur au capitalisme naissant et à ses prétentions industrielles. C’est donc la norme marchande que le projet de loi est chargé d’imposer.

« Le développement prodigieux des technologies de l’information et de la communication, avec tout ce qu’elles offrent comme opportunités d’accès aux différents services, y compris les services culturels dont les contenus ne correspondent pas nécessairement à nos intérêts nationaux, requiert une véritable industrie cinématographique nationale susceptible d’en réduire l’impact ». Le législateur nous explique ainsi que les motivations de la loi sont plus nobles que les simples considérations économiques. Le marché et l’industrie cinématographique sont mis au service de la défense de la patrie face à l’impérialisme qui menace nos « intérêts nationaux ». Lesquels ? L’ambiguïté permet d’alimenter la confusion entre intérêts matériels égoïstes et intérêts moraux généraux, eux-mêmes discutables tant ils permettent de justifier un conservatisme mortifère.

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L’idéologie du pouvoir est clairement affirmée et prolonge l’œuvre du précédent qui s’était arrêtée à l’aspect artistique du cinéma sans penser à développer en grand sa dimension économique. Ce qui n’a pas empêché le parasitisme et la prédation de se répandre dans le secteur. Le législateur explique donc que « la consécration du caractère industriel du cinéma par le présent projet de loi, en plus de sa dimension artistique déjà reconnue, s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle approche économique de la culture basée sur le développement et la promotion des industries culturelles dont l’industrie cinématographique en constitue un axe essentiel, les orientations édictées à ce titre par Monsieur le Président de la République en conseil des ministres le 23 février 2020, pour la révision du cadre législatif et structurel du secteur du cinéma, pour relancer une industrie cinématographique en encourageant l’investissement dans ce domaine et en motivant les professionnels ». « Enrichissez-vous », clamait ouvertement Bouteflika, Tebboune parle, lui, d’encourager et de motiver. L’euphémisme ne saurait pourtant cacher la voracité des intérêts qu’il incarne. Il élargit et accentue la logique de son prédécesseur.

La loi précise : « Il est indéniable que la consécration du caractère industriel du cinéma conforterait les choix visant le développement d’une industrie cinématographique créatrice de richesses et d’emplois, et c’est à ce titre que l’intitulé de ce présent projet de loi a été choisi et que la dimension économique du cinéma a été privilégiée à travers plusieurs dispositions ». Si dans l’industrie automobile, en guise d’intégration, on ajoutait de l’air dans les pneus des véhicules montés localement, il est à craindre que dans le cinéma on se contente de rouler les « r » dans les dialogues pour donner un cachet national. Les films algériens risquent de ressembler de plus en plus à ceux produits par Netflix où on a peine à distinguer un film espagnol ou coréen d’un film américain, selon une conception qui oppose identité nationale et création de richesses et d’emplois.

« Afin de développer l’ensemble des filières composant l’industrie cinématographique, le présent projet de loi préconise l’allégement des procédures administratives pour l’octroi des autorisations pour l’exercice des activités réglementées de production, de distribution et d’exploitation cinématographiques, afin de favoriser la création d’entreprises cinématographiques et garantir leur continuité. Il définit en outre les cas dans lesquels lesdites autorisations peuvent être suspendues ou retirées et les cas dans lesquels leur attribution peut être refusée tout en accordant le droit de recours auprès du ministre chargé de la culture, nonobstant le recours juridictionnel ». Dans le contexte répressif actuel, on imagine parfaitement les motivations du législateur liées aussi bien à la pérennisation du pouvoir qu’à l’octroi de privilèges à ses clientèles. Le fait du Prince sera la règle et encore une fois le Ministre sera juge et partie.

A travers son projet de loi le pouvoir voudrait néanmoins affirmer une sorte de neutralité idéologique de la technologie. Il postule ainsi que « s’agissant de la création et de l’exploitation des infrastructures de base relevant de l’industrie cinématographique, à l’instar des cités de cinéma, des laboratoires, des studios de tournage et autres industries techniques y afférentes, ce présent projet de loi les soumet à une simple déclaration d’existence ». C’est un peu comme si les grands studios d’Hollywood pouvaient signaler leur existence sur simple courrier tandis que les producteurs indépendants devaient obtenir leur agrément du Pentagone. On voudrait ainsi faire croire que les compagnies "majors" disposant des moyens de productions au cinéma et de l’essentiel des écrans, elles n’ont cependant aucune influence sur le contenu des films et qu’elles ne seraient que de simples prestataires. En vérité, on voit bien que le pouvoir fait confiance aux détenteurs du capital pour assurer la bonne orientation du cinéma algérien. Le cinéma indépendant étant voué à une existence marginale.

Marquant la volonté d’édifier une industrie, le législateur souligne qu’en relation avec « l’activité économique du cinéma et à l’effet de rentabiliser les aides accordées au titre de l’encouragement à l’investissement et au renforcement des capacités de production et de services cinématographiques, le présent projet de loi interdit, pour une durée déterminée, le changement de vocation des terrains et des biens mobiliers du domaine privé de l’Etat accordés à cet effet ». C’est faire passer des vessies pour des lanternes, juste au moment où Tebboune se lave les mains des opérations de destruction des constructions illicites et où des terres agricoles sont déclassées pour permettre de bâtir toujours plus dans l’algérois. Dans ce paragraphe, il est évident que les termes « pour une durée déterminée » prennent le pas sur l’interdiction de changement de vocation des terrains.

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« En matière d’exploitation cinématographique, le présent projet de texte soumet l’exploitation des salles de projection cinématographique et multiplex de salles de cinéma à un cahier des charges fixé par voie réglementaire, lequel définit les prescriptions techniques et les normes requises ainsi que la création d’une commission qui fixe les modalités de classement des salles de manière à garantir la sécurité du public ». Entretemps la cession des salles appartenant à l’Etat a déjà commencé et il serait peut-être opportun de tirer un premier bilan de l’opération concernant les salles soumises à l’offre dans neuf wilayas avant de préciser le dispositif. Naturellement il n’est pas encore question d’un réseau de cinéma d’art et d’essai, ni même de salles remises à des cinéclubs. Au moment où une association comme SOS culture Bab El Oued est soumise aux oukases du pouvoir, il est clair qu’on se situe plus dans le prolongement de Messaadia qui interdisait le mouvement des cinéclubs en même temps qu’il faisait adopter l’article 120 des statuts du FLN que dans celui de Benyahia qui lançait le premier festival panafricain en 1969 et jetait la culture dans les rues.

« L’approche sur laquelle est fondé le présent projet de loi marque une rupture avec les formes d’organisation et de fonctionnement du secteur du cinéma et postule la cohérence avec les nouvelles formes de gouvernance économique qui rendent nécessaire la reconfiguration du rôle de l’administration dans la gestion économique, l’allégement des procédures et la continuité de l’attribution de l’aide publique à l’industrie cinématographique » affirme le texte dans l’exposé des motifs. L’allégement des procédures n’a pourtant de sens que si le pouvoir renonce à l’idée même d’autorisation de tournage, voire même d’agrément cinématographique, ce dernier ne devant être requis que pour pouvoir postuler à des aides publiques. Nous en sommes encore loin et nous verrons combien le parcours du cinéaste reste parsemé d’embûches bureaucratiques.

Le législateur affirme que « les principes édictés à ce titre visent le renforcement du rôle du secteur privé dans les différentes branches industrielles et d’activités relatives à l’industrie cinématographique, ainsi que la redéfinition des missions incombant à l’Etat en matière d’encadrement juridique des activités y afférentes, de normalisation techniques ainsi qu’en matière de récupération, de conservation, de restauration et de numérisation de l’archive cinématographique, en plus de la formation et de qualification des ressources humaines ». Il réduit ainsi le rôle de l’Etat à celui de gendarme de la règle et du patrimoine. C’est la dernière séance pour le secteur public qui nous a pourtant apporté notre première palme d’or, tous les moyens de l’Etat, y compris ceux de la télévision, ayant été mis au service d’un film. Cela avait même provoqué un mouvement de contestation des réalisateurs de l’époque qui ne pouvaient plus tourner, à leur tête… Hachemi Chérif.

Un intérêt particulier est également accordé à « la protection des droits de propriété à travers l’obligation faite aux distributeurs de fournir la preuve par laquelle le détenteur des droits l’autorisant à exploiter son œuvre cinématographique dans les salles de cinéma ou par les plateformes numériques ou à travers les supports d’enregistrement ». La question des droits de propriété étant au cœur du développement d’une industrie capitaliste du cinéma nous nous attarderons plus loin sur cette question. Mais que l’Etat démêle déjà la question des droits de propriété des films produits par les entreprises publiques qu’il s’est empressé de dissoudre et on commencera à y voir plus clair. En attendant on peut penser que leur sort est le même que celui réservé au matériel de ces mêmes entreprises, livré à la prédation ou à l’abandon.

Le pouvoir veut consacrer dans la loi les atteintes aux libertés déjà mise en œuvre dans la pratique. Et pour mieux faire passer la censure, il propose d’y associer les acteurs du secteur. « En matière d’exploitation des films et à l’effet d’asseoir la cohérence nécessaire entre les différentes parties concernées par la production et la distribution cinématographiques conformément à leurs attributions respectives en la matière, ce présent projet de loi les associe dans toute prise de décisions concernant la production, la distribution et l’exploitation de films se rapportant à la révolution et les films portant sur des thèmes religieux, aux événements politiques, aux personnalités nationales et aux symboles de l’Etat ». Le film Ben M’hidi se transforme ainsi en feuilleton à rebondissements et nous ne sommes pas encore prêts à voir l’œuvre de Derrais sur les écrans algériens.

Le projet de loi « soumet également l’octroi des autorisations de tournage dans les zones protégées par la législation à l’accord préalable des entités dont elles relèvent ». Rien de neuf sous le soleil, pas même une procédure automatique quand ces entités relèvent elles aussi du Ministère de la culture et des arts, comme les parcs naturels et culturels. Rien ne sera épargné aux cinéastes.

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« S’agissant de la liberté de création à travers le cinéma, l’exercice des activités de production, de distribution et d’exploitation des films s’effectue dans le respect de la Constitution, des lois de la République, de la dignité des personnes, des intérêts supérieurs de la nation et des valeurs et constantes nationales. Il est entendu que celles-ci constituent les mêmes considérations sur lesquelles repose tout octroi ou refus d’octroi de l’autorisation d’exploitation de tout film quel qu’en soit le support ». On a vu quelle lecture de la Constitution et de la loi pouvait faire le pouvoir, supplantant ainsi le juge. C’est donc autant à la loi qu’au pouvoir qu’il faudra mettre un garde-fou pour assurer la liberté de création.

Le législateur n’a oublié aucun des différents intervenants du cinéma et ajoute qu’en matière « de ressources humaines et d’organisation des professions cinématographiques, le présent projet de loi contient des dispositions visant à promouvoir la formation, organise la délivrance de la carte professionnelle, assoit l’ancrage pour la promulgation d’un statut spécifique des professionnels du cinéma et pour l’édiction d’un code d’éthique et de déontologie ». Il n’est pas précisé cependant que le code d’éthique et de déontologie est conçu par le pouvoir comme l’annexe du code pénal et sera très certainement inspiré par les expériences très brutales en matière de presse.

« En réponse aux aspirations des professionnels dans les industries cinématographiques aux fins de développer leurs capacités et de diversifier les offres d’emploi, il est fait obligation aux producteurs étrangers qui effectuent le tournage des films en Algérie d’associer des techniciens et des artistes algériens dans des proportions précises ». Se masquant derrière les « aspirations des professionnels » le pouvoir oublie soudain les règles du marché et pense quotas nationaux. Voilà bien la seule dérogation qu’il semble faire à ce qui est la logique qui anime tout son projet de loi. C’est donc ici que gît le lièvre, au plutôt les lièvres, à savoir les techniciens, dont peu seront élus dans les productions internationales, mais dont la masse pourrait servir de contrepoids aux velléités d’indépendance des créateurs et des producteurs. La seule garantie de leur autonomie consiste à assurer l’édification démocratique de leurs organisations.

« Enfin, à l’effet de veiller sur le respect des dispositions du présent projet de loi, il est dévolu aux contrôleurs et aux inspecteurs du cinéma la mission de contrôle du respect des dispositions édictées dans le présent projet de texte et celle du cahier des charges relatives à l’exploitation cinématographique en leur confiant le droit de constater toute infraction et d’en dresser des procès-verbaux ». Après toute la rhétorique sur l’industrie voilà de quoi enlever définitivement toute poésie au cinéma. L’exposé des motifs se termine d’ailleurs par : « Telle est l’économie du présent projet de loi ». On n’aurait pas pu mieux dire.

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